Monter ou descendre vers Pâques ? Le Forum de l’évêque, Lettre n°18
Chers amis, chères amies,
Tous, nous avons un jour entendu ce vœu : « Belle montée vers Pâques ! »
Sans doute ce choix du verbe « monter » est-il lié à l’histoire des chemins de croix. Cette dévotion, qui ne date que du 16e siècle, consiste à emprunter le chemin suivi par Jésus portant sa croix à travers les ruelles étroites et encombrées de la vieille ville de Jérusalem, jusqu’à la petite colline où avaient lieu les exécutions, le Golgotha. Á ce trajet, les pèlerins ont donné le nom de « Via Dolorosa », ou « Rue des douleurs ».
Cette montée physique est aussi symbolique d’une ascension plus près du Christ, d’un arrachement à ses attaches terrestres pour se rapprocher de Dieu, comme le voulaient les spiritualités anciennes.
Mais aller vers Pâques est-il une montée ou une descente ? Sans vouloir jouer les trouble-fêtes, je pense très profondément que le chemin vers Pâques n’est pas une montée mais une descente, autant laborieuse et exigeante que réjouissante, mais résolument tournée vers « l’en-bas ».
J’ai commencé à me poser cette question en entrant dans certaines églises où il faut commencer par descendre pour atteindre la nef. Je pense à la collégiale Saint Pierre du Dorat, ou à l’abbaye saint Pierre de Solignac, toutes deux en Limousin. Une fois le portail poussé, un escalier vous invite à descendre pour rejoindre le chœur, splendide, en contrebas.
Pourquoi les architectes ont-ils voulu que le Christ nous attende au bas d’un escalier ? C’est simple : si le Christ s’est fait petit avec les petits, humble avec les laissés pour compte, lui qui s’est abaissé jusqu’au plus infamant des supplices, la mort sur une croix, n’est-ce pas pour nous inviter au même dépouillement ? Laissons, dit-il, tout ce qui peut entraver une vraie rencontre avec nos frères et nos sœurs : notre superbe, nos préjugés autant que nos certitudes, et toutes les images de nous-mêmes qui nous isolent et finissent par nous empêcher d’accéder à notre vraie identité, et donc de rencontrer autrui.
Ce travail dont on pourrait croire que, parce qu’il nous allège, il nous ferait monter, commence, au contraire, par accepter de baisser notre regard vers l’en bas. De nous convertir à ne plus regarder le plus haut, le plus grand, le plus prestigieux, mais la multitude qui compose l’humanité.
En chemin, nous risquons aussi de nous trouver alourdis par ce qui pèse en nous. Il y a si souvent un contraste douloureux entre le bien que nous voulons faire et le mal que, parfois, nous faisons sans pouvoir faire autrement ! C’est dur de découvrir que, si nous avions vécu à Jérusalem lors de l’arrestation de Jésus, nous lui aurions sans doute tourné le dos.
Mais la vérité sur nous-mêmes n’a pas pour motif de nous accabler de honte, elle fait la vérité, elle mène en notre cœur profond, là où résident nos racines, et aussi la source vive que Dieu répand à profusion en nous. Oui, le Christ nous attend chez nous, tout en bas, et il n’y a que du bon à se laisser entraîner sur les marches de l’escalier…
Aussi, je souhaite que pour chacun et chacune d’entre nous, la « descente vers Pâques » nous permette de mieux vivre, autant avec nous-mêmes qu’ensemble. Il est particulièrement dur, ces temps-ci de vivre « ensemble ». Notre rôle de chrétiens n’est-il pas de nous aider mutuellement à surmonter les conflits et la violence actuelles ? Non dans de grandes déclarations identitaires, non dans l’exclusion et l’anathème, mais dans l’écoute, le discernement et le respect. Un différend ne doit pas devenir une division insurmontable. Pâques est pour la joie, parce qu’un avenir existe toujours.
Anne Soupa