Après Marseille
En un écart de trois jours, les Français sont passés des fastes de Versailles, de ses ors et de ses glaces, d’un banquet de 160 couverts servis aux personnalités les plus en vue de l’intelligentsia franco-britannique, au formica des tables de cantine marseillaises dressées pour le repas solidaire servi à 600 personnes en précarité. Beau rappel de ce qu’est, entre autres qualités, le christianisme.
La visite du pape aura été pour beaucoup un moment de joie sans ombres, de découvertes heureuses ; oui, le christianisme est bien vivant, oui, l’Évangile en est toujours le cœur battant. Le vérifier, dans la foule joyeuse du vélodrome réconforte et dynamise les esprits.
La voix du pape ne peut laisser indifférent. Venue de loin, portant loin, et si proche de l’intime des coeurs qu’elle semble nôtre…. C’est la voix d’un témoin de l’Évangile qui dit des choses simples, connues, mais toujours à réentendre. D’une extrême puissance morale, elle pénètre au cœur des consciences. Message d’humanité vendredi, de spiritualité samedi. Refus de l’indifférence envers les migrants, et prière vers un Dieu compatissant; horizontalité et verticalité, tout est dit en 48 heures.
Certains ont reproché au pape de faire de la politique. Mais c’est presque une honte de le laisser croire. Le pape dit : portez secours, bannissez les passeurs, ne vous habituez pas à faire de la Méditerranée un cimetière. Est-ce de la politique, ça ! non, ce n’est que le plancher de l’humanité.
François est dans son rôle de curé du monde quand il défend l’humanité des migrants. Par là-même, il nous invite à redécouvrir que… nous aussi, sommes des êtres humains. L’aurions-nous oublié ? Comment peut-on laisser dire que ce pape culpabilise quand il rappelle simplement qu’ « être un homme, çà oblige », (Albert Camus)? Sommes-nous si faibles que nous ne puissions plus entendre la moindre remise en question de nos faits et gestes sans craindre de nous écrouler ?
Demain, on se rendra compte que François, depuis dix ans, pose les fondations d’une nouvelle Croix Rouge adaptée au siècle des migrations : laisser mourir en mer est un crime ; tyranniser, rançonner, asservir les migrants est un crime, etc… Et la Méditerranée est le Solférino de notre époque. Il n’est jamais trop tard pour ouvrir les yeux.
Cette étonnante visite du pape a commencé « en biais ». « Je ne viens pas en France, mais à Marseille ». Belle application de sa thèse de la périphérie. « Ne vous regardez pas, mais sortez et regardez au loin ». Mais, de geste fort en geste fort, de prise de parole en prise de parole, de prière en prière, elle se termine au coeur. Cœur de la France et cœurs des Français.
Si ce le voyage du pape est le dernier, il aura été à la hauteur de cet Évangile que cet homme prêche depuis dix ans. Il aura rappelé qu’être chrétien n’est ni une appartenance identitaire ni un ordre moral. Mais c’est construire une humanité sans exclus, reliée à un Dieu qui la veut réconciliée, délivrée de la peur. En somme, bien vivante.