Abus dans l’Eglise : plus de femmes, moins d’abus
Paru dans Marianne octobre 2021
Femmes dans l’Église catholique : de la mixité à la parité
« Plus la domination masculine est forte, plus les violences sexuelles le sont » a dit mardi matin à la conférence de presse de la CIASE, chiffres à l’appui, la sociologue Nathalie Bajos. Voir plus de femmes dans l’Eglise serait donc l’une des solutions à l’entre soi clérical qui, en protégeant celui qui vous ressemble, a favorisé les abus. Comment, alors, s’y prendre pour introduire cette mixité qui ferait défaut à l’Eglise catholique. Car le jugement ne va pas de soi. Il irrite les plus conservateurs des catholiques qui font remarquer que dans leur paroisse, il n’y a déjà que des femmes. De fait, les femmes sont très nombreuses dans la vie quotidienne des paroisses, au point que si elles faisaient grève, la maison Eglise ne pourrait plus tourner. « Certes », diront les autres, « mais ce qui manque, c’est la parité. Voyez-vous des femmes confesser, déplacer les prêtres abuseurs, omettre de faire des signalements au procureur ? Non, car la fonction leur est interdite ». Or, c’est bien ce que pointe le rapport de la CIASE : les femmes n’exercent pas de véritables responsabilités. Leur absence des lieux de décision ne permet pas de briser l’entre soi des prêtres. Partout, elles restent sous leur responsabilité. Si l’on veut éradiquer pour toujours les abus, il faut forcer ce plafond de verre. Â
Les raisons de l’éviction des femmes sont multiples. L’une d’elles est la décision prise lors de la Réforme grégorienne, au 11e siècle, de ne confier qu’à des prêtres les trois grandes « charges » de l’Eglise, à savoir gouverner, sanctifier. La décision était de la plus élémentaire prudence, car les grands féodaux tentaient de mettre la main sur l’Eglise. Longtemps, cette décision s’est avérée sage. Mais aujourd’hui elle asphyxie l’institution qui ne peut se régénérer avec du sang neuf. Un évêque ne peut être qu’un homme célibataire et prêtre, issu de l’une des petites centaines annuelles d’ordinations de prêtres. Combien parmi eux, sont aptes à gouverner ? Une paroisse, peut-être, mais un diocèse, comparable à un département ? Combien auraient des compétences analogues à celles d’un préfet, avec en outre des compétences psychologiques et une stature spirituelle apte à dynamiser la vie spirituelle de tout un diocèse ? L’évêque actuel n’est même plus l’homme selon le cÅ“ur de sa communauté, car il est nommé par Rome, et non l’élu de sa communauté, comme c’était le cas au 1er millénaire. L’évêque est donc un « parachuté », avec toute la froideur que l’on associe à ce terme.Â
Pour régénérer le personnel ecclésiastique par l’arrivée de femmes, comment faut-il s’y prendre ? Deux voies s’ouvrent.Â
La première est d’ordonner des femmes prêtres. C’est la solution adoptée par les Églises de la Réforme, Luthériens et Réformés, qui ont ordonné pasteurs des femmes depuis plus de 50 ans. C’est aussi la solution anglicane, depuis près de 30 ans. Par contre, l’Eglise catholique ne semble pas s’y résoudre. Alors que les catholiques français avaient dans un sondage déjà ancien, affirmé à plus de 55% leur assentiment à l’ordination de femmes, le monde romain, cardinalice en particulier, s’y montre très hostile, et fait même de cette question des femmes le premier marqueur du clivage actuel qui fissure l’Église entre conservateurs et catholiques d’ouverture. Â
Au-delà de cette hostilité de Rome à voir des femmes accéder à la prêtrise, il faut se demander si la fonction de prêtre est encore appelée à avoir un avenir, et si oui, à quelles conditions. Dans un premier temps, force est de constater que l’attachement de l’Eglise post constantinienne, (celle qui a suivi la reconnaissance du christianisme par Constantin en 313) au prêtre était encore, jusqu’à ces dernières conclusions de la CIASE, est encore fort. Tout décideur doit en tenir compte : s’il ne veut pas aller à l’affrontement, il doit contourner.
La crise ouverte par les abus et les conclusions de la CIASE vont sans doute encore plus contribuer à rebattre les cartes. On peut affirmer sans se tromper que le ministère ordonné est à un carrefour où son avenir est en jeu. Les dérives pointées par la Commission sont telles : sacralisation de la figure du prêtre, identification au Christ, forteresse patriarcale, que s’il ne fait pas l’objet d’une profonde réforme, il disparaîtra.Â
Aussi, l’autre voie pour introduire des femmes a peut-être devant elle un plus grand avenir. Elle serait de ne pas passer par la case « prêtre », mais de leur confier des responsabilités au titre de leur baptême. En effet, le sacrement de baptême n’atteste pas seulement de l’entrée dans la famille de l’Église, il confère à celui qui le reçoit une mission qui va le suivre tout au long de son existence. Théologiquement, donc, la porte ne serait pas fermée. Pour faire entrer cette légitimité baptismale, il faudra distinguer, comme le demande le rapport Sauvé, le pouvoir d’ordre (celui de délivrer des sacrements) et le pouvoir de gouvernement, donc enterrer les acquis de la réforme grégorienne évoquée plus haut. Déjà le pape François l’avait promis dans son encyclique programmatique de novembre 2013 (Evangelii Gaudium). Il l’a légèrement amorcé en nommant une religieuse, Nathalie Becquart au synode, puis une autre, …. Le seul problème, c’est la lenteur du processus. Deux femmes par an à des postes décisionnels comparables à ceux d’un évêque, c’est peu, quand on sait qu’il y a plus de 5000 évêques. Il faudrait donc environ 2500 ans pour arriver à cette si bénéfique parité… Â
Soyons réalistes, il faudra libérer de plus larges chemins si l’Eglise ne veut pas sombrer. Réformer le droit canon, distinguer en profondeur le pouvoir d’ordre et celui de gouvernement. Le problème est, là encore celui de savoir réagir vite à une hémorragie dont le flot risque de devenir si puissant qu’il n’attendra pas longtemps pour vider les églises.Â
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