Eglise catholique : Disparaître ou renaître ?
Tribune le Monde octobre 2021
Au moment de la parution du rapport Sauvé
Alors qu’hier encore elle était reconnue et intégrée à la vie des Français, l’Eglise catholique est lentement devenue un grand corps malade. Faute de sang neuf, faute de lucidité sur l’usure de sa structure. Mais le 5 octobre, la maladie qui la rongeait a été mise au grand jour. Elle est entrée dans une phase chronique aigüe, car la CIASE a souligné les nombreuses dérives du ministère du prêtre (et de l’évêque, lui aussi prêtre), qui sont les piliers de la gestion pastorale de l’Eglise.
En effet, les 330 000 victimes de prêtres et de laïcs en font le lieu le plus dangereux pour les enfants, après la famille. Et la dissimulation des évêques -encouragée sinon imposée par Rome- alourdit la faute. Désormais la confiance est perdue, la parole épiscopale n’est plus que de la fausse monnaie. Et la souffrance est dans tous les membres de ce corps : chez les victimes d’abus, chez les prêtres, chez les fidèles…
Dans cette souffrance, il y a tantôt de la sidération, tantôt du déni, souvent de la colère. Dans les médias et sur twitter, la colère monte, et vite. On savait l’Eglise catholique lente, mais on découvre des catholiques rapides. On les voit, en quelques jours, passer de l’accablement à la colère, puis à l’expression de leur volonté de changement (#AussiMonEglise). Ce qui les heurte, c’est la contradiction foncière entre le dire et le faire. Damien Leguay l’exprime ainsi : « Comment une entreprise de salut peut-elle porter une œuvre de mort ? ». D’autant plus que les évêques ont réussi en peu de jours à coaguler les sujets de mécontentement : ils veulent indemniser les victimes sur une base forfaitaire, ils demandent aux fidèles de mettre la main au porte-monnaie, et ils ouvrent un conflit contreproductif avec la République à propos de la confession. Pourtant, ni la CEF ni Rome n’évoquent le moindre changement de la structure de l’institution.
Alors, si les évêques -et le pape ?- ne veulent pas réformer, les catholiques sont-ils prêts à le faire ? Et si oui, le peuvent-ils ?
Les réactions semblent se partager. Les « cathos culturels » ont la main sur la porte de sortie. Mais ceux qui s’appuient sur des convictions fortes affichent leur désir de reprendre le chantier depuis ses fondations mêmes. L’argument théologique est simple : l’Eglise s’est construite sur un innocent crucifié, celle de demain doit l’être sur l’expérience même des victimes innocentes. Les plaies dans lesquelles elles invitent à mettre les mains sont la sacralisation du prêtre -cette dérive théologique qui laisse croire que Dieu est complice de l’abus-, une masculinité omnipotente et arrogante qui favorise les violences sexuelles, et le pouvoir absolu des évêques.
Deux voies s’ouvrent pour éradiquer ces fléaux. La première consiste à réduire le périmètre du ministère du prêtre. Ainsi de l’assimilation trop rapide du prêtre au Christ. Ainsi du privilège masculin. Ainsi de ce canon 1008 du Code de droit canonique qui stipule que : « Par le sacrement de l’Ordre, d’institution divine, certains fidèles sont constitués ministres sacrés par le caractère indélébile dont ils sont marqués ». Prétention folle qui ne peut que conduire à des abus.
On devrait aussi reconnaître que non, les prêtres n’ont pas été institués par Jésus, mais ne sont apparus que vers l’an 250 ap. J.C. Quant à la succession apostolique, -soit-disant ininterrompue- dont se revendiquent les évêques avec les Douze compagnons de Jésus, c’est une chaîne où le ciseau a souvent tranché.
L’autre voie est de revaloriser la place des laïcs, en vertu de ce qu’on appelle le « sacerdoce baptismal », terme du Nouveau Testament qui donne un caractère sacré au peuple chrétien du fait de son baptême, (alors que le « sacerdoce ministériel », celui des prêtres, n’y est jamais mentionné). Un autre appui de taille vient du choix par Jésus des Douze. Contrairement à ce qui se dit communément, les Douze ne sont pas un club de happy few, mâles et célibataires, mais ils évoquent aux oreilles des auditeurs de Jésus les douze fils de Jacob, l’ancêtre du peuple hébreu. Jésus a donc confié son Église à l’ensemble du peuple, symboliquement constitué des descendants de Jacob. Á « tous » et non pas à « certains »…
Forts de cette puissante légitimité, des laïcs, hommes et femmes, seraient tout à fait fondés à être responsables de paroisses, de diocèses, et à administrer des sacrements. Déjà, beaucoup sont formés. Enfin, de véritables contrepouvoirs devraient se créer dans les paroisses et les diocèses.
En toute légitimité, l’avenir de l’Eglise revient donc aux baptisés. N’est-ce pas à eux de se donner les bases et les étapes d’une reconstruction qui obéirait à la triple feuille de route déjà évoquée ?
Renaître plutôt que laisser disparaître le message évangélique : le dilemme est là. Certes, jusqu’à aujourd‘hui, l’Eglise a fait reposer toute sa structure sur les prêtres. Les catholiques sont donc en droit de craindre pour l’avenir. De plus, l’institution a déjà trop tardé. Plus elle attend, plus la réforme sera difficile, car les forces lui manqueront. Mais rien n’est perdu. Qu’elle s’appuie au plus vite sur les laïcs (dont font partie les religieux non-prêtres et les religieuses) qui sont à son service et dont le dévouement et la compétence lui sont acquis !
Anne Soupa, auteur de « Pour l’amour de Dieu », Albin Michel, 2021