Qu’est-ce qu’une émancipation quand on se revendique d’une religion ?
Cette contribution a été tenue lors de la rencontre des « Napoléons » en mai 2021, à Marseille.
Nous sommes 3 femmes émancipées appartenant chacune à l’un des monothéismes.
S’émanciper est une tâche particulièrement difficile dans le domaine religieux, dernier bastion – mais bastion résistant- du patriarcat des religions.
Dans le christianisme, selon la phrase de la théologienne américaine Mary Daly : « Si Dieu est un homme, alors tous les hommes sont dieux ».
Dans la sphère catholique, tt le clergé est masculin. Toutes les responsabilités sont donc trustées par des hommes. Soi-disant en se fondant sur la Bible. Mais la Bible y a été traduite, commentée, interprétée avec des yeux d’homme et j’ose le dire, falsifiée.
Les femmes des 3 monothéismes sont donc des « cumulardes ». Elles doivent s’émanciper dans leur vie sociale et dans leur vie de foi.
Car nos 3 exemples qui, certes connaissent une reconnaissance de l’opinion, ne doivent pas masquer l’immense travail qui reste à faire et dont chacune voudra peut-être parler.
J’en veux pour seule preuve l’intériorisation tenace de leur situation seconde par les femmes elles-mêmes. Un exemple : une femme qui, au cours d’une liturgie catholique, remplaçait son mari défaillant pour donner la communion, s’entend dire : « mets-toi au fond, on te verra moins ».
De quoi nous émancipons-nous ?
Il y a plusieurs « lieux » à émanciper :
-Le noyau dur de la résistance patriarcale se situe au niveau ontologique. Il est dans la réponse faite à cette question originelle : qu’est-ce que l’être femme ? Les religions, globalement, répondent que les femmes ont « une vocation particulière », elles sont épouses et mères. Elles sont donc « différentes ».
C’est le différentialisme, qui s’oppose à l’universalisme. Le premier considère que les êtres humains femmes sont d’abord des femmes, elles sont celles qui enfantent, et que cela entraîne certaines activités précises ; l’autre considère que les femmes sont d’abord des êtres humains et que leurs tâches maternelles sont « des services rendus à la société ».
Le principal grief que je fais au différentialisme, c’est qu’il instrumentalise les femmes. La femme devient un objet, de plaisir ou de reproduction. Elle n’est plus cet être « sans pourquoi », à qui une marraine bienveillante aurait offert tous les possibles en cadeau de naissance.
Cette distinction a été clairement établie à la conférence de Pékin sur les femmes, en 1995. Alors que la majorité des états ont validé la vision universaliste, une infime minorité, composée du Vatican de Jean-Paul II, et de quelques pays arabes, ou dictatoriaux, a opté pour une vision différentialiste.
-De cette position différentialise, résultent toutes les discriminations concrètes observables aujourd’hui, qui se modulent selon le « génie » de chaque religion : retrait des lieux publics, privation de la parole, éviction des responsabilités, invisibilisation…
Une émancipation pourquoi, pour qui, et pour quoi ?
Les réponses sont multiples
1.Parce que les femmes ne peuvent vivre clivées entre deux hémisphères, l’un sociétal où elles sont les égales des hommes, l’autre religieux où elles sont invisibilisées. C’est le motif essentiel de ma candidature ; je ne supportais plus ce clivage forcé.
Il est intenable qu’une religion reste durablement dans un tel désaccord avec la société où elle se déploie. Et comme personne ne reviendra sur l’égalité F-H, les religions mourront si elles n’installent pas l’égalité en leur sein. Et je souhaite la vie de la religion à laquelle je me rattache.
2.Parce que, de fait, les services rendus par les femmes dépassent largement la maternité. Donc, en excluant les femmes, les religions se privent de forces vives.
3.Parce que la présence active des femmes fait vivre pour de vrai la différence des sexes, qui est un bénéfice majeur de notre état. Au livre de la Genèse, Dieu crée simultanément deux êtres égaux et différents.
4.Parce que l’émancipation est la condition d’un vrai service, qui ne soit pas une servitude, un esclavage, mais un choix assumé par un être libre.
Certes, si je m’émancipe, c’est d’abord pour moi, mais un moi qui devient capable d’autrui. Et devenir un être « capable d’autrui », c’est une telle richesse que je la crois être la finalité de nos vies.
Ne faudrait-il pas s’émanciper de « la religion » elle-même ?
Après ces rappels, partiels et situés, mais assez factuels, je voudrais ouvrir en conclusion la question que vs vs posez peut-être : ne faudrait-il pas s’émanciper de la religion elle-même ?
Oui, il me semble qu’il faut s’émanciper de beaucoup d’aspects de la religion.
1.Se méfier du mot « Dieu », comme le demande la tradition juive, parce que son usage sert les intérêts situés, partiels, corporatistes de celui qui parle, en particulier des clergés. « Dieu dit, Dieu interdit, Dieu veut… ».
La Bible -et le Coran ne dit pas autre chose sur ce sujet- dit et répète que Dieu est « autre ». Cette altérité foncière de Dieu, tant revendiquée par les rédacteurs bibliques, demande que l’on ne veuille pas mettre la main sur lui. Qu’on ne projette pas sur lui ses propres images de Dieu, qui ne sont que des fantasmes.
Toute l’histoire ancienne du peuple hébreu consiste à s’émanciper de Dieu. Á ne pas « mettre Dieu à l’épreuve », c’est-à-dire le sommer de résoudre ses problèmes, donc ne pas l’instrumentaliser. La conséquence est que l’être humain doit s’assumer et cesser de « faire des caprices ».
Donc, moins on parle de Dieu, mieux il se porte, et plus je deviens un être humain digne de ce nom.
2.Rester laïc, dans les 2 sens du terme, laïc au sens religieux du terme, c’est-à-dire « non prêtre », et laïc dans le contexte de la laïcité française. Cette attitude a des conséquences multiples sur lesquelles nous reviendrons peut-être.
-Reste la question du « croire », dont je sais qu’elle se pose différemment selon les religions. Croire en quoi, en qui ? Il me semble que ce qui pourrait nous unir dans la réponse, c’est que « ns croyons », ou nous « savons », je ne sais quel terme est le plus juste, qu’il y a plus grand que nous.
Je ne suis pas ma propre fin. Cet acte de foi, ou ce théorème, je ne sais, me semble fondamental. Et Paul Ricoeur, le grand philosophe protestant précise : « Une civilisation ne se connaît que comme dépassée ».
C’est dans cette révérence à celui qui est plus grand que nous, que nul ne connaît, sur lequel toute parole est risquée, potentiellement présent « au milieu de nous », que, peut-être, nous nous retrouvons.
De cette foi-là, je considère que je n’ai pas à être émancipée, mais que c’est elle qui m’émancipe, comme je viens de le suggérer en parlant du parcours du peuple hébreu, au livre de l’Exode.
C’est une « Difficile liberté », disait Emmanuel Lévinas. Oui, mais tel est le paysage auquel nous conduit tt travail sur l’émancipation.