Pourquoi je suis candidate à la charge d’archevêque de Lyon
Constatant qu’en 2020, dans l’Église catholique, aucune femme ne dirige aucun diocèse, aucune femme n’est prêtre, aucune femme n’est diacre, aucune femme ne vote les décisions des synodes,
Considérant qu’exclure la moitié de l’humanité est non seulement contraire au message de Jésus- Christ, mais porte tort à l’Église, ainsi maintenue dans un entre soi propice aux abus,
Considérant que je ne suis ni une inconnue, ni une apparatchik de couloir, mais que j’agis dans mon Église depuis plus de 35 ans, sur le terrain, comme bibliste, théologienne, journaliste, écrivain, présidente pendant 8 ans de la Conférence des baptisé-e-s, et présidente actuelle du Comité de la jupe,
Tout m’autorise à me dire capable de candidater au titre d’évêque, tout me rend légitime. Or, tout me l’interdit.
Si ma candidature est interdite par le droit canon, c’est tout simplement parce que je suis une femme, que les femmes ne peuvent être prêtres et que seuls les prêtres, en devenant évêques, dirigent l’Église catholique.
Considérant que dire « non » à cette interdiction m’est un devoir, à la fois pour cette Église que j’aime et pour l’ensemble des catholiques dont je suis la sœur,
Considérant qu’il est de ma responsabilité d’être « serviteur de la Parole » et de rendre compte de l’espérance qui est en moi,
J’ose donc me porter candidate pour occuper une charge de gouvernement dans l’Église catholique.
Certains diront que ce geste est fou ; mais ce qui est fou, c’est que cela paraisse fou alors que cela ne l’est pas. N’y aurait-il qu’un seul modèle d’évêque, celui d’un homme célibataire, âgé et tout de noir vêtu ? Pourtant, quel gain ce serait d’oser offrir d’autres visages à cette fonction !
Considérant par ailleurs, qu’être prêtre est une chose, et que gouverner en est une autre, que deux papes ont déclaré close la question de l’accès des femmes au sacerdoce, mais que le pape François a demandé aux théologiens de mieux distinguer prêtrise et gouvernance afin de faire une place pour les femmes,
Je constate que rien n’a été fait en ce sens depuis 7 ans. N’y aurait-il que ma candidature à répondre à l’appel du pape ?
Gouverner un diocèse ne requiert d’être prêtre que parce que le droit canon en a décidé ainsi. Mais la fonction d’évêque existait bien avant le droit canon ! Les Douze compagnons de Jésus n’étaient pas prêtres, Pierre était même marié. Depuis la plus haute antiquité, l’évêque (l’« épiscope ») est un surveillant, un protecteur qui observe et veille sur la cohésion et la rectitude doctrinale d’un ensemble de communautés. En quoi un laïc ne pourrait-il pas assurer cette fonction ?
Pourquoi candidater à Lyon ? Parce qu’à Lyon, quatre archevêques successifs, Mgrs Decourtray, Billé, Balland, Barbarin, ont failli dans leur tâche première, celle de protéger leurs communautés. Les bergers ont laissé les loups entrer dans la bergerie et les prédateurs s’en sont pris aux petits. Comment aujourd’hui redonner une légitimité au corps épiscopal ? Comment les catholiques du diocèse de Lyon, laïcs et prêtres, qui aspirent tous à une parole vraie, libérée, dans une communauté soudée, pourront-ils de nouveau faire confiance ?
Pourquoi candidater maintenant ? Parce que l’Église catholique continue à nourrir un cléricalisme pourtant dénoncé par le pape : abus en tous genres, sacralisation du prêtre, esprit de division …
Sachant et considérant toutes ces choses, je me porte candidate à l’archevêché de Lyon, non de mon propre chef, mais parce que certains de mes proches m’y ont conduit.
Ma démarche, je l’espère, sera utile pour toutes les femmes qui, aujourd’hui, sont assignées et bridées dans leur désir de responsabilités.
Je les invite donc à candidater partout où elles se sentent appelées, que ce soit à devenir évêque ou à toute autre responsabilité qui leur est aujourd’hui interdite.
Anne Soupa, ce 21 mai 2020, fête de l’Ascension, anne.soupa@baptises.fr; +33 (0)681541286
Lyon, un diocèse qui enthousiasme
J’ai vécu à Lyon pendant 4 ans, de 1982 à 1986. Beaucoup de choses ont changé depuis, mais je gage que l’âme de Lyon est restée la même. Les charismes des lyonnais sont discrets, mais d’une incroyable efficacité. En de nombreuses circonstances, j’ai pu observer combien le monde associatif était à l’écoute des situations difficiles. Sitôt qu’une nouvelle précarité était identifiée, une association ad hoc se constituait. Á la catho, où j’ai fait mes études de théologie, j’ai découvert l’infinie richesse du patrimoine spirituel chrétien. Celle-ci m’a éblouie et a soutenu mon désir de me rapprocher toujours plus des expériences de foi de nos aînés. C’est une grande dette que j’ai contractée auprès des professeurs de la catho.
Ainsi, j’ai appris des Lyonnais le refus du paraître, l’aptitude à des relations humaines profondes et le goût des choses de Dieu. Oui, je peux dire que Lyon est un diocèse qui pousse vers Dieu, qui
« enthousiasme ».
Aujourd’hui, je crois que le diocèse a d’abord besoin d’écoute L’écoute est un art difficile, mais qui récompense de la patience dont on a fait preuve. Celui qui n’a pas été écouté réfrène la vie en lui et la laisse s’étouffer sous le ressentiment. Au contraire, celui qui a été écouté retrouve sa source intérieure et répand la vie autour de lui. Tout le monde y gagne ! Cette écoute ne peut être
sélective : elle doit être offerte à tous, toutes tendances confondues. Et Dieu sait combien la frénésie des « tendances », frontières, coteries, chapelles, s’est répandue depuis une génération, contribuant au règne du Malin, cet esprit de division qui, dans le monde actuel, est la cause de nombreux malheurs.
Ceci me conduit à une seconde priorité. Le diocèse a besoin d’une gestion claire. La clarté, autant dans les orientations générales que dans les petites décisions, est rassurante, et elle génère un esprit d’unité. En écartant les sous entendus et les quiproquos, elle évite la confusion de Babel. Elle fait donc reculer ce même esprit de division évoqué à l’instant.
Le diocèse a aussi besoin de vérité. La dissimulation est une dette que l’on inflige aux générations suivantes. Elle se paye un jour ; et comme les payeurs ne sont pas les fauteurs, un insupportable sentiment d’injustice s’installe.
Quelques actions, valables en tout diocèse, seraient utiles à mener. Il serait fructueux que, prêtres et simples baptisés engagent, les uns avec les autres et les uns pour les autres, une profonde réflexion sur les « pourquoi » et les « comment » de leurs engagements. Il y a toujours à gagner à se rapprocher de la source qui vit en soi, jusqu’à entendre la musique de son passage. C’est ainsi que se « renouvelle l’amour d’autrefois » cher aux prophètes.
Une démarche de ce genre permet d’ouvrir plus largement son regard. Dans cette perspective, comment ne pas être provoqué par ce que nous apprennent les sociologues : 60% des Français se disent catholiques, mais moins de 3% sont pratiquants. L’urgence n’est-elle pas de demander à ces catholiques qui ne sont pas dans les églises le dimanche matin comment ils veulent vivre leur identité catholique ? Certes, la fréquentation de l’eucharistie, sacrement central « de la vie chrétienne » est importante, mais elle n’a de sens que si elle est suivie du don de soi, comme Jésus l’a montré à la Croix. Et nombre de ceux qui se sont éloignés de l’Église ont trouvé ailleurs le moyen de vivre le don d’eux-mêmes.
Ainsi, si l’écoute est pour tous, si la gestion du diocèse est claire, si la vérité n’est pas sacrifiée, les catholiques lyonnais pourront, avec l’aide de chacun et de tous, marcher ensemble vers ce Royaume promis par Jésus. Certes, le Royaume est une promesse aux frontières mystérieuses. Se limite-t-il à la seule sphère dite « chrétienne » ? Sûrement pas ; le pape François le rappelle assez ! Aujourd’hui, si le christianisme convainc, c’est à cause de Jésus, maître d’humanité, qui la pousse jusqu’à son plus grand déploiement : le don de soi par amour. Cet amour, Jésus l’a reçu de celui qu’il appelle son
« Père ». S’il nous invite à nous humaniser, il nous pousse aussi à cette « divinisation » qui vient de la fréquentation de l’amour venu d’en haut. Á ce grand œuvre, les chrétiens sont appelés à se ranger aux côtés des croyants de toutes les religions, car l’amour est au fondement de toute religion.
Á Lyon comme ailleurs, les catholiques sont des travailleurs engagés à la vigne du Seigneur. Le travail et l’ivresse leur sont promis. Ni l’un ni l’autre ne manqueront aux Lyonnais. Le travail, il y en aura beaucoup ! L’ivresse aussi leur est déjà promise et le chemin en est connu : c’est la foi au Christ ressuscité, présent en chacun et dans le visage de l’autre. Cette présence doit se manifester, en particulier, dans cette « société spirituelle à laquelle nous adhérons par la foi » qu’est l’Église. Dans cette Église de Lyon, pourtant si décriée, si trébuchante, l’ivresse est offerte à tous. Une autre modalité de sa gouvernance, tirée simplement du « milieu du monde », peut contribuer à s’en rapprocher.
Anne Soupa, 21 mai 2020, fête de l’Ascension,
anne.soupa@baptises.fr; +33 (0)681541286